De retour dans le plein chaos de Siliguri, nous attrapons un tuk-tuk pour rejoindre la gare NJP où nous espérons trouver un billet de train couchette pour atteindre l'extrême Est de l'Inde, et surtout le Meghalaya. Cette région de l'Inde ressemble sur la carte à une immense presqu'île où demeurent les Sept Soeurs, sept régions linguistiquement et culturellement à part du reste du pays (plus influencée par l'Asie du Sud est et le Tibet) et isolées derrière le Bangladesh.

Le décor y serait différent de tout ce que nous avons vu pour le moment et le Meghalaya en lui-même est surnommé localement l'Ecosse de l'Est. De quoi nous faire rêver.


Obtenir un ticket dans la cohue indienne fut une épreuve digne de la quête du laissez-passer A38 dans la Maison qui rend fou des 12 Travaux d'Asterix. Nous étions comme des balles de tennis, renvoyés d'un guichet à un autre sans que personne ne sache comment nous fournir ce satané billet pour Guwahati, pourtant destination phare du coin.

Une caissière en panique a même manqué de nous faire une syncope à force d'essayer de nous expliquer pour la énième fois que notre ticket ordinaire devait être échangé auprès d'un contrôleur pour être valable. Je sais pas si c'était nous le problème mais entre leur accent anglais abominable, leurs réglementations incompréhensibles et les indiens autour de nous ultra collants qui tentaient par tous les moyens de nous doubler, la crise de nerfs nous pendait sérieusement au nez.


On finit par comprendre l'histoire du contrôleur comme quoi, en fait, nous sommes sur liste d'attente pour pouvoir accéder en classe "Sleeper" (vous savez, avec couchette mais à moindre prix). Nous avons juste à attendre que le train arrive pour savoir si on pourra être casés quelque part. Coup de pot, on nous trouve 2 couchettes l'une au dessus de l'autre avec un indien fort sympathique comme voisin de cabine et le train démarre avec seulement 1h30 de retard. Notre patience n'a plus de limite !


Après une nuit plutôt correcte (on va définitivement adopter ce mode de transport pour les longs trajet), nous arrivons à Guwahati où notre ami indien nous emmène à la gare de bus. Le timing est parfait, le bus pour Shillong part dans 20 minutes, le temps de déguster un chai bien épicé en guise de petit déjeuner.


3 heures de trajet sans musique, les passagers semblent muets comme des carpes et presque aucun raclements de gorge ne nous fait dresser nos poils dans le dos... bonheur ! Le paysage est superbe, encore très vert avec un petit côté tropical qui nous emballe. Les stands d'ananas, de papayes et de bananes se succèdent le long des routes.


Nous traversons Shillong en bus. L'influence britannique est encore très visible, comme à Darjeeling. Les taxis et bus jaunes circulent le long des collèges et universités immenses, des églises en bois et des hôtels à l'architecture coloniale. Nous sommes tout simplement impatients de trouver un petit hôtel pour nous poser et préparer notre itinéraire pour les jours à venir.

...


Énorme échec.


Comme à Haridwar 2 mois plus tôt, nous voilà rejetés de tous les hôtels, sans exception, sous prétexte qu'ils sont complets. On sait que c'est faux mais personne ne semble enclin à nous donner d'explication. Certains gérants se cachent en ricanant derrière leur comptoir tandis que d'autres feignent de ne pas comprendre nos questions.


Dégoûtés, nous nous réfugions dans une gargote pour dévorer un thali, prêts à renoncer à notre aventure Meghalayienne.

Gentiment, le propriétaire du restaurant nous explique que les hôtels ici doivent rendre compte des séjours des touristes étrangers à la police de New Delhi et que la charge de travail les dissuade de nous accepter pour la nuit.

Après réflexion, nous décidons de ne pas baisser les bras si près du but. Nous traversons le centre ville bouchonné pour dénicher une jeep à destination de Cherapunjee, un petit village perdu dans les landes indiennes et proche des diverses attractions que nous avions repérées.


Re-belote. Une fois sur place, aucune guesthouse ne veut de nous. L'accueil dans les hôtels est glacial. Pris de désespoir, nous errons dans les rues glauques sans éclairage en quête d'une solution. Par miracle, nous dégotons une Homestay isolée où nous négocions une chambre à 800 roupies, bien au dessus des tarifs standards. Les habitantes au sourire édenté, les yeux exorbités et victimes d'un strabisme divergent particulièrement prononcé nous terrorisent un peu. Encore plus lorsque l'une d'elle se met brutalement en colère parce que nous n'avons pas de photocopie de notre passeport.


Nous partons donc dans la nuit noire chercher de quoi les contenter. L'hostilité de la ville ne fait que se confirmer : les portes se ferment à notre passage, les passants détournent le regard à notre approche et le peu de personnes qui n'ont pas encore fuit se ferment comme des huîtres lorsque nous leur demandons des indications. Notre persévérance paye pourtant et nous revenons à la Homestay avec deux copies et le ventre rempli de chowmeins. Nous nous barricadons dans notre chambre en espérant ne pas finir découpés en morceaux avant le petit matin.


Au réveil, toujours vivants, nous laissons nos gros sacs sous la surveillance de nos hôtes et filons en centre ville pour chercher un transport susceptible de nous approcher de Tyrnan, le village donnant accès aux ponts de racines et de lianes réputés dans la région.

En chemin, nous découvrons la beauté du paysage qui nous entoure, pas étonnant que ce soit surnommé la Petite Écosse. Les collines environnantes encore baignées dans la brume ont un charme fou.


Un touriste, le premier depuis ces 2 derniers jours, nous informe qu'un bus part à 9h. Rassurés, nous nous dirigeons vers le marché central pour boire un chai.


C'est en observant plus longuement les habitants que nous comprenons le malaise qui nous habite depuis notre arrivée à Cherapunjee. Leurs dents et leurs lèvres sont rouge vif comme s'ils avaient dévoré de la chair crue animale... voire humaine ! A force de chiquer leur tabac, leur sourire devient carrément terrifiant, toutes générations confondues. Leur manie de mâcher la bouche ouverte bruyamment ne fait qu'empirer leur aspect effrayant.

Nos esprits divaguent complètement, on se croirait dans un roman noir, l'église austère en fond de toile, où les habitants d'une ville seraient contaminés par un étrange mal, les rendant assoiffés de sang.


Nous montons dans le bus en riant de nos délires fantastiques. Le paysage défile : de la lande à perte de vue, d'où émergent quelques villages aux maisons délabrées et quelques églises d'une époque révolue. Un décor digne d'un bon Hitchcock ou d'un Sleepy Hollow brumeux et angoissant. Les tombes côtoient les jeux pour enfants. L'usine locale semble désaffectée et menace de tomber en ruine mais les ouvriers continuent de errer entre les bâtiments. Sous le ciel menaçant et dans la brume matinale, isolés de la ville et des hommes, serions nous arrivés à Shutter Island ?


Le bus descend progressivement dans les gorges et nous dépose à Tyrnan, point de départ de notre trek. Un indien nous accompagne dans notre randonnée. 2000 marches au coeur d'une jungle chaude et humide nous mène directement au premier pont de racines. Nous sommes enchantés par le lieu. La nature est pleine de surprise !


Après moultes photos et traversées de ponts avec les quelques touristes présents (tous indiens) nous progressons dans la forêt dense pour atteindre le minuscule village de Nongriat où nous posons nos sacs dans le dortoir en extérieur d'une charmante Homestay.


Un double pont de lianes est accessible à 2 minutes de là. Nous découvrons aussi que la jungle est remplie de piscines naturelles alimentées par les multiples cascades des alentours. Bien décidés à en profiter, nous suivons le sentier durant un petit quart d'heure, traversons quelques ponts bringuebalants au dessus des caillasses et arrivons bientôt devant un immense bassin d'eau turquoise au pied d'une puissante cascade. L'eau est fraîche et il se met à crachiner mais il est facile de se baigner. 


Nous sommes seuls, c'est absolument génial !


En fin d'après midi, nous décidons de poursuivre le chemin sur un petit kilomètre pour contempler la belle Rainbow Fall.

Un buffet-diner thali vegetarien à volonté nous attend au retour. On ne pouvait pas mieux clôturer cette journée !


La nuit dans notre petit dortoir ouvert sur la jungle se passe à merveille, ni trop chaud ni trop froid, le bruit des cascades en fond, de quoi dormir en toute tranquillité !


Nous nous mettons en marche au matin pour trouver le sentier retour jusqu'à Cherapunjee, histoire de faire une boucle pour revenir au village.

Le chemin est un escalier de roches inégales et glissantes qui monte en pente raide sur 3km. Il fait déjà chaud et nous mettons à peine quelques minutes pour transpirer à grosses gouttes.

Dans ces moments là, il suffit juste de poser le cerveau et de ne pas penser aux 1000m de dénivelé devant soi. Ça aurait pu être simple dit comme ça si on n'avait pas eu sur la route les toiles immenses des araignées locales, elles mêmes aussi grosses qu'une main (non, on n'exagère pas !). Une comme ça de temps en temps, c'est marrant mais quand tu lèves le nez tous les 3 mètres pour te retrouver face à trois bestioles menaçantes ça devient carrément l'angoisse. Autant vous dire que la montée fut un calvaire. Et encore Maxime est le seul à avoir vu les serpents !


Nous arrivons intégralement trempés de notre propre sueur au point de vue sur les sept cascades... Sauf qu'on ne voit rien. Absolument rien. Nous qui avions quitté Nongriat sous le ciel bleu nous faisons face à une mer de nuages blancs opaques.

Nous déjeunons en espérant une éclaircie qui ne viendra jamais. Tant pis. Nous repartons à travers la lande brumeuse, qui nous rappelle tout à fait certains paysages d'Ecosse. Nous en profitons pour faire quelques photos et discuter de notre programme du lendemain.


Au diner, nous tentons une petite gargotte locale qui, pour une fois, n'est pas tenu par un vampire. Les momos au poulet ont un goût de poisson... Maxime finit la nuit la tête dans la cuvette des toilettes.


Nous trouvons la motivation de nous lever tôt le lendemain pour partir nous promener dans la lande ensoleillée. Nous voulions prendre quelques clichés de l'usine de Shutter Island et retrouver les lieux qui nous avaient fait fortes impressions lors de notre premier voyage en bus.

Les champs sont fleuris et la lumière sur la lande change complètement l'atmosphère. Il n'y a aucun bruit sinon les bêlements des chèvres et le souffle du vent. La vue de ce paysage sauvage nous apaise.


Nous revenons au rond point du village pour tenter de trouver un taxi qui nous emmènerait à une cascade que nous avions repérée dans une agence de voyage. Un jeune indien nous rejoint pour attendre ses copains qui doivent venir le récupérer pour aller à la pêche.

Le peu de taxis qui passent sont remplis à ras bord de touristes indiens, ne souhaitent pas faire de détour pour notre spot ou nous demande des prix délirants pour 10 petits kilomètres.

45 minutes plus tard, nous sommes toujours sur notre rond point avec notre copain, à deux doigts de renoncer, une fois de plus.


Soudain, un couple d'indien s'arrête sur le bord de la route et nous font signe de monter à bord. "On va aux Seven Sisters Falls, ça vous tente ?". Pas de problèèèèème !

Le point de vue est superbe, on aperçoit les plaines du Bengladesh au pieds des falaises. "La visi est pas bonne" dirait ma mère, le ciel est voilé mais ça vaut mieux d'être ici que de retour à la Homestay.

Le couple très sympa nous embarque dans leur roadtrip à travers les collines. L'après midi est reposante, joyeuse et honnêtement, ce genre de rencontre change un voyage. Ce sont les premiers indiens avec qui nous échangeons vraiment sans arrière pensée business derrière.


Nous revenons enchantés au village et retrouvons la famille de notre gîte en train de faire à manger. Nous engageons la discussion avec enthousiasme, même quand ils se mettent à sortir leur attirail de cannibales (une beetleseed associée à une feuille de tabac et de la poudre blanche).


"C'est la drogue locale", nous avait expliqué notre covoitureuse indienne cet après midi. On comprend mieux les allures de zombie de certains locaux qui doivent subir les effets secondaires de leur mélange douteux, mais ce n'est vraiment pas esthétique pour la dentition !

Nous allons nous coucher sur ces réflexions.


Le lendemain matin, la famille nous offre un thé et quelques gâteaux avant que nous partions trouver une jeep pour revenir à Guwahati. Nous traversons une dernière fois la place du village où le marché aux légumes est en train d'être installé sous les stands en tôle bancales. La plupart des villageois traînassent en mâchant rouge, le regard vitreux. La vie est au ralenti mais nous profitons une dernière fois de cette étrange ambiance car nous savons que la cohue, la pollution et le bruit nous attendent dans les étapes à venir.


A bientôt pour de nouvelles aventures !

Les Bob'trotteurs