C'est à la fin d'une belle matinée ensoleillée, étendus dans nos chaises de jardins, les livres à la main, que nous avons rencontré Ganesh, l'un des professeurs d'anglais du district de Salyan chez qui nous allons vivre pendant les deux prochaines semaines.

Vous l'avez compris, on parle bien du petit village dans lequel l'association Grandir Au Népal s'est investie pour scolariser les jeunes enfants de ce milieu rural et pour lequel certains d'entre vous ont apporté leur soutien.


Notre rencontre avec Arjun (membre fondateur de l'association) quelques jours auparavant à Katmandou nous avait rassuré et motivé et nous avions pu discuter de notre séjour à venir dans la campagne népalaise.

Nous étions ravis de découvrir enfin notre correspondant (car nous ne communiquions avec lui que par e-mail jusqu'à présent), et l'échange que nous avons eu autour de ses projets et du fonctionnement général de son pays nous a enrichi de nouvelles connaissances.

Il fut donc ensuite convenu que nous allions passer 15 jours au moins dans le petit village à 30 kilomètres de Pokhara, chez le fameux Ganesh qui vit déjà avec ses deux parents, sa femme et ses deux enfants. Une fois de plus, le timing est formidable : nous tombons exactement pendant les vacances de Dasain, un festival hindou durant lequel les familles se réunissent pour fêter ensemble la victoire des déesses sur les monstres.

Pour mieux comprendre le phénomène, les locaux ont comparé cette fête à notre Noël en Europe mais nous explique qu'ici de nombreuses chèvres sont sacrifiées pour de grands repas familiaux (comme la dinde de chez nous !).

Pendant quelques jours, on assiste à une sorte d'exode urbain. Les grandes villes sont désertées au profit des campagnes.


Ganesh est donc venu nous chercher en personne dans notre hôtel de Pokhara pour nous accompagner au village.

Le personnage nous plait tout de suite. D'abord discret, il se révèle plein d'humour, toujours souriant et extrêmement gentil. Son allure de professeur des écoles, lunettes sur le nez et chemise habillée, nous laisse imaginer qu'il doit avoir une vie plutôt aisée, et son ventre rond... que nous allons bien manger !


D'ailleurs, et avant toute chose, il ne faut jamais partir le ventre vide et Ganesh nous invite à partager des momos au poulet (raviolis en plus gros) dans une gargote uniquement fréquentée par des locaux. Un régal !

Le bus pour le village n'étant prévu que dans deux heures, nous l'assistons ensuite dans ses dernières emplettes : recherche de médicaments, achats de fruits, de farine et de gâteaux apéritifs (on fête ça bien ici!), outils de bricolage... Nous avons tout juste le temps de visiter le petit appartement qu'il a acheté au dessus du restaurant de momos, que le bus arrive déjà.


Immédiatement c'est l'urgence ! Vite, nous devons réserver trois places pour pouvoir être assis durant les 3 heures de trajet.

C'est la cohue. Pendant deux heures, le bus continue à se remplir et les nouveaux venus s'entassent dans l'allée centrale, sur les genoux des autres passagers, sur le toit... Malgré le confinement, et la situation terriblement inconfortable, les jeunes comme les plus vieux rient et s'amusent dans ce méli-mélo de bras, de jambes et de sacs de voyage.


Finalement, le conducteur s'installe et l'imminence du départ se fait ressentir.

Ganesh nous explique que tous les habitants de la ville souhaitent rentrer chez eux mais qu'il n'y a que peu de bus pour les villages. C'est maintenant ou demain pour les retardataires et les festivités commencent ce soir !

Le conducteur peste contre les passagers agrippés aux fenêtres. On s'écrase dans le bus pour leur faire de la place. Un jeune homme nous confie ses bananes, un vieil homme pourtant venu sans bagage se retrouve avec un bébé dans les bras et un sac de course dans les jambes, des têtes réjouies émergent de la confiture humaine.

Par la fenêtre, nous observons les hommes monter les chèvres par les cornes sur les toits à la seule force de leurs bras.


La machine se met en marche péniblement. La ville défile sous nos yeux. Nous assistons aux derniers marchés aux bestiaux. Les hommes viennent chercher leur diner du lendemain. C'est impressionnant et nous avons un peu de peine pour toutes ces bêtes dont les heures sont comptées.


Au bout d'une heure, le bus quitte la grand route pour prendre un chemin de caillasses. Ganesh rit quand nous sommes secoués contre les parois du bus. "On quitte l'autoroute (high-way), nous dit-il, il reste encore une heure et demi de trajet." Si ce n'étaient que des secousses... mais l'orage nous tombe aussi dessus (n'oubliez pas, il y a toujours des personnes sur le toit !).

Le bus avance tant bien que mal sur la route défoncée et nous découvrons les campagnes dans la brume. Tout est vert.


Nous arrivons la nuit tombée. Le fils de Ganesh, 11 ans, nous attend de pieds fermes, impatient de rencontrer les touristes qui vont vivre chez lui.

Lampes torches au front, nous arrivons devant la demeure de la famille Ganesh, murs de terre cuite et toit de bois. Toute la famille est dehors dans la petite cour pour nous accueillir. On nous installe les nattes sous le petit préau avant que la pluie ne reprenne. "You are family. This is your home now." nous lance le grand-père.


Nous faisons rapidement la connaissance de Laxme 73 ans et Sadrita 63 ans - les parents de notre hôte - ainsi que Sita sa femme et Reetu sa fille de 18 ans. Le fils Rohit communique un peu en anglais.

Nous sommes invités à prendre le diner dans la cuisine avec le grand-père, Ganesh et son fils. La fille, très effacée attend avec sa mère pour le deuxième service tandis que la grand-mère, maîtresse de maison, nous sert les assiettes sans toutefois déguster le repas.

Au menu du jour : une bonne platrée de riz (bat), des pickles (concombre épicé) et un mélange de légumes (pomme de terre, haricots, courgettes), une portion de lentilles dans leur jus (dal), un verre d'eau potable (on essaie de les croire) et un verre de lait chaud de buffalo (tout frais de la traite du soir). Comme on dit par chez nous, "C'est une grosse gavure".

J'accepte la cuillère qu'on me tend, tandis que Maxime se laisse aller aux coutumes locales, à savoir manger avec la main droite (la gauche étant réservée aux tâches ingrates comme, par exemple, se nettoyer à l'eau lorsqu'on va aux toilettes... non, ici, il n'y a pas de papier..).

Les hommes de la famille lui montrent comment mélanger ses légumes dans le riz encore compact et comment amener le tout à la bouche sans en mettre partout. Maxime tente, et c'est une réussite !


La grande question du soir tourne autour de notre relation. Amis ? Mariés ? Ici, les couples ne peuvent pas vivre ensemble sans être unis. La fille ne peut strictement pas découcher de chez ses parents, encore moins avec un homme seul qui n'est pas de sa famille et encore moins à l'étranger... Nous aurions beaucoup à demander à Ganesh pour en savoir plus sur la vie des Népalais mais il se fait tard (ici on se couche à 21h, mais on se lève à 5h)...


La famille nous installe dans une petite chambre indépendante en forme de L où nous attendent deux lits et des couvertures. Après quelques vérifications et rafistolages dans le toit pour que la pluie ne perce pas, on nous laisse nous glisser dans notre sac à viande. Demain matin, se réjouit Ganesh, on tue la chèvre ! Et sur ces belles paroles, nous pouvons nous endormir sereins.


La famille est déjà en pleine activité lorsque nous sortons de notre chambre à 6h45. Des "Good morning" joyeux nous sont lancés de la petite terrasse et la grand mère nous sert le petit déjeuner : un masala chia (et non chai comme en Inde) et des gâteaux choisis la veille par Ganesh. Nous pouvons enfin découvrir notre nouvelle maison. A droite, trois buffalos occupent l'étable. Des plantations grimpent de toutes part : courgettes, poires, citrouilles, citrons, concombres, tomates, haricots... et ces rizières à flanc de collines ! Quel paysage !


Pas le temps de traîner il y a du pain sur la planche ! Ganesh a troqué ses habits de ville pour des tongs, un short et un T-Shirt. Bye-bye les lunettes, ce n'est plus le même homme que nous avons en face. Il nous invite à le suivre jusqu'à la maison voisine. Nous apprenons que l'ensemble des maisons ici appartiennent à une fratrie dont fait partie le père de Ganesh. De nombreux cousins sont arrivés la veille pour Dasain.


C'est chez le frère aîné de Laxme que nous allons sacrifier la chèvre. Des enfants jouent dans la cour tandis que les plus vieux aiguisent les couteaux. Les femmes, pour la plupart, restent à l'intérieur.

Deux bêtes ont été choisies pour Dasain, mais une seule sera tuée ce matin. Le festival dure plusieurs jours et d'autres cousins doivent arriver dans les prochains jours.

Je vous passe la demi heure de préparation et d'attente... Ganesh laisse à son jeune cousin la responsabilité de manier la machette.

Le spectacle est vraiment terrible pour nos coeurs d'occidentaux. Une fois la tête tranchée, le sang est immédiatement récolté dans une bassine et les hommes transportent le corps de la chèvre dans un grand feu pour raidir sa chair, brûler les poils et donc faciliter la découpe.


Des bâches sont étendues dans la cour. Ganesh nous explique : "Ici je suis professeur des écoles mais au quotidien il faut aussi que je sois boucher, bûcheron, maçon, électricien... Il faut savoir tout faire !".

La découpe semble très simple quand on sait s'y prendre. Nous observons d'un oeil mi-intrigué mi-dégouté la sortie des entrailles, des organes et du gras. La viande doit être répartie en 5 parts pour chaque famille. Notre hôte et ses oncles se chargent de ce travail.


Très vite, on vient nous apporter une petite portion de viande déjà préparée et assaisonnée. Nous sommes perplexes, la consistance est vraiment étrange, sans parler du gras... mais nous goutons avec entrain car nous savons que la viande est un plat de fête.

Ganesh nous apprend que nous venons de déguster quelques morceaux de cerveau, langue, cou et intestin. Ceci explique cela.

Un des oncle s'amuse à nous réserver le pénis et finalement il s'avère être le meilleur morceau de viande mangé dans la matinée !


Pendant que les hommes s'affairent dans leur boucherie improvisée, nous prenons le temps de jouer avec les enfants bien que la communication reste encore difficile avec la barrière de la langue.


Lorsque nous dégustons notre déjeuner vers 11h30 (constitué de Dal bat et légumes comme la veille au soir), nous ne savons pas encore que la journée nous réserve de nombreuses activités palpitantes :

- La cueillette des poires à coups de bâton suivie de la dégustation des fruits en famille,

- La coupe de foin et d'herbe à la serpe pour les chèvres (retour en portant le panier avec la nuque suivant les coutumes d'ici),

- Préparation des ingrédients du repas avec la grand-mère (ail et courgettes) et mise en cuisson,

- Bricolage dans la cuisine pour remettre une source de lumière,

- Nettoyage de la vaisselle à la fontaine d'eau (il faut savoir que dans la culture Népalaise, l'homme ne doit faire aucune tâche ménagère - ça vous fait rêver les mecs ? - La vaisselle, la cuisine, le ménage sont réservés aux femmes et Maxime choque en prenant part aux corvées ).


Une fois le travail terminé, Ganesh nous propose d'aller faire une petite promenade dans les rizières, le temps qu'il coupe de longues herbes pour les buffles. Le paysage reste toujours un peu embrumé mais les couleurs de la nature nous plaisent énormément. Nous planifions déjà de revenir pour un coucher de soleil.


Une fois revenus, le grand père nous met le grappin dessus. Depuis notre réveil, la famille ne cesse de nous taquiner sur notre relation et insiste pour nous marier ici même pendant les fêtes de Dasain.

Nous esquivons les projets en allant nous nettoyer à la fontaine. La douche est carrément primaire mais c'est on apprend à faire avec les moyens de bord !


Un peu plus tard, une fois notre Dal bat dans le ventre, nous nous rendons une nouvelle fois dans la famille voisine pour assister aux parties de cartes des vieux oncles. Nous tâchons de nous concentrer pour comprendre les règles qui ressemblent assez à celles du Rami, mais ici, le jeu s'appelle Merise.

Une fois de plus, les femmes sont en retrait dans les salles annexes à discuter ou dans les chambres pour s'occuper des enfants.


Nous sommes impressionnés par la force des femmes dans la famille de Ganesh. Sa femme Sita se lève aux aurores pour nettoyer la maison et préparer le petit déjeuner, s'active en permanence, travaille dans les champs autant que son mari et porte des charges impressionnantes, fait à manger, repeint la maison, nettoie la vaisselle, lave les vêtements, nourrie sa famille, les invités, les bêtes. Le tout avec une grande discrétion et en toute humilité. Quelle leçon de vie !


Déjà deux nuits sur place et c'est comme si nous étions chez nous. Nous avons déjà pris le pli en nous réveillant avec le soleil entourés des bruits de la maison (gloussements des poules, ronflements des buffalos, frottements des balais, bourdonnements de la radio et des discussions familiales).

Une fois debout, Ganesh nous fait visiter les alentours et notamment le village de Salyan ainsi que l'école où nous donnerons des cours. Nous terminons par une grimpette jusqu'au plateau qui domine la vallée (Ganesh le qualifie de "Piece of Heaven") et offre un point de vue spectaculaire sur une partie de la chaîne de l'Himalaya (Terre des Neiges en français). Par chance, nous distinguons les sommets Machapuchare (6997m), Annapurna South (plus de 7000m) et le Dhaulagiri (8167m).

Pour votre information, Annapurna signifie pile de grain car les montagnes enneigées rappellent à nos amis népalais les tas de riz amassés durant la récolte.


Accompagner Ganesh dans ses promenades nous permet de rencontrer de nombreux habitants du village qui nous accueillent toujours avec chaleur et nous remplissent l'estomac de thé et de sels (les gâteaux sucrés, vous vous souvenez ?).

Entre les différents repas déjà copieux, les fruits grignotés par ci par là, les sucreries sorties par gourmandise et les visites chez les amis de Ganesh, nous passons une grande partie de notre journée à manger ! Heureusement que les activités physiques ne manquent pas !


Nous profitons aussi de ces moments avec Ganesh pour le questionner sur la culture locale :


- Sur la place des femmes surtout dans le couple. Les femmes doivent répondre à toutes les demandes des hommes. Les gestes d'affection sont interdits. Si une femme ou les enfants touchent la jambe du père, ils doivent s'incliner et poser leur front sur les pieds du père car ils ont péché. La femme ne peut pas passer au dessus des jambes de son mari.


- Sur la nourriture. Ici les népalais mangent sans couverts et toujours de la main droite. Les hommes ne mangent pas avec les femmes et les enfants. Chacun est servi en riz et légumes par la maîtresse de maison dans une assiette, le Dal est servi à part dans un bol que l'on verse ensuite sur le riz. Parfois nous finissions le plat de l'autre quand l'autre n'avait plus faim or il est interdit de prendre de la nourriture dans une autre assiette. Nous avons eu du lait à tous les repas sauf lorsque de la viande était servie (c'est mauvais pour la digestion).


- Sur les tâches du quotidien. A chaque jour suffit sa peine ! Les buffalos comme les chèvres doivent être nourris au quotidien et il est nécessaire d'aller ramasser de l'herbe chaque nouveau matin. Le grand-père trait les buffles matin et soir. Pour nourrir les hommes, il faut aller cueillir les légumes et la préparation des plats (bien que l'on mange la même chose à chaque repas) demande du temps et de l'énergie (entretien du feu, broyage des épices, cuisson à tour de bras et vaisselle pour tout le régiment). Pas de machines ici, tout se fait à la main... Quel spectacle aussi de voir le grand-père, si calme d'habitude, et Sita, si joliment habillée, labourer leur champs à grand coups de pioches avant que Sita ne pique les légumes dans la terre et le purin ! On se demande aussi comment la vie s'organise lorsque Ganesh est à l'école et Reetu à Pokhara (où elle fait ses études). Chaque personne a son rôle à jouer.


- Sur le mariage des jeunes filles (car Ganesh a en réalité trois filles dont deux déjà mariées). Le mariage fonctionne ici à l'ancienne. La famille de la fille doit offrir une dot lors de la cérémonie et les montants sont exorbitants comparé à leur revenu (ex. pour sa fille aîné, Ganesh a dû donner 8 millions de roupies à la famille du marié - soit environ 67000 euros alors que son salaire est de 25000 roupies par mois). Il nous a expliqué qu'une fois les études supérieures de sa fille aînée terminées, il lui a demandé avec qui elle souhaitait se marier. N'ayant pas de personne en vue, elle a indiqué à son père qu'elle voulait se marier avec un homme qui comptait voyager à l'étranger. Ganesh étant professeur, il connaissait beaucoup de jeunes hommes susceptibles de correspondre à sa fille et a sélectionné un futur gendre qui partait au Japon.

On vous laisse imaginer le "pétrin" dans lequel est Ganesh en ayant 3 filles à marier...

En parallèle, on apprend qu'une partie des crimes infantiles féminins au Népal sont liés à ce rituel de dot. Heureusement, ce phénomène tend à disparaître...


Bref. Nous prenons de plus en plus nos marques dans la famille : Maxime en accompagnant Ganesh dans toutes ses activités (on voit ce dernier d'ailleurs ravi d'être épaulé dans ses tâches) et Noémie auprès de la grand-mère dans la cuisine et du grand-père qui l'a pris d'affection.

Nous sommes amusés de nous voir interpellés dès que nous tentons de nous consacrer à nos activités personnelles (lecture, écriture du blog...)


Demain est un grand jour dans le festival de Dasain et les préparatifs vont bon train. On vous en dit plus dans un prochain article.


Namaste !

Les Bob'trotteurs